Permettez-moi de revenir sur l’information qui faisait couler beaucoup d’encre début novembre, avant d’être chassée par l’actualité terroriste : selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la viande rouge est probablement cancérogène ! Dans un document diffusé le 26 octobre dernier et publié simultanément dans le journal médical The Lancet Oncology, le Centre International de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’OMS, a en effet annoncé la classement de la consommation de viande rouge (bœuf, porc et veau) comme « probablement cancérogène pour l’homme » et celle de produits carnés transformés comme « cancérogène pour l’homme ». Que penser d’une telle annonce ? Faut-il dorénavant se méfier de la bidoche ? Je n’ai pas épluché les 800 études examinées par les 22 experts du CIRC, mais j’ai lu pas mal de comptes rendus pour me forger un avis. Mon opinion, c’est que la viande rouge peut être largement blanchie des accusations portées à son encontre. Pour autant, je ne vais pas jusqu’à l’absoudre de toute implication dans le cancer. Si je devais choisir une couleur dans un feu tricolore, je ne lui donnerais ni le rouge ni le vert, mais bien l’orange. Non pas un orange fixe, celui qui annonce le rouge, mais un orange clignotant autorisant le passage moyennant quelques règles de prudence. Voici les 7 réflexions qui justifient, à mon sens, le choix de disculper l’accusée tout en évaluant sa possible complicité.
1) Le CIRC, c’est pas du cirque
Le CIRC, ce n’est pas un groupe de clowns ni de pantins manipulés par les lobbies industriels. Au contraire, cet organisme a déjà démontré son indépendance scientifique vis-à-vis des groupes de pression pourtant bien introduits à l’OMS. On lui doit, par exemple, le classement du tabac et celui de l’amiante parmi les facteurs avérés de cancers pulmonaires. Ou celui des particules fines d’origine automobile parmi les facteurs potentiels de cancers bronchiques. Et tout dernièrement, c’est aussi le CIRC qui a déchaîné les foudres de Monsanto en classant le glyphosate, principe actif du Round Up, comme « cancérogène probable ». Bien embêtée par ce verdict, la Commission européenne s’est d’ailleurs tournée vers un autre institut, allemand celui-là, pour obtenir un avis moinstranché et permettre à l’herbicide d’échapper à l’interdiction. En juin dernier, 120 chercheurs de renom ont publié une déclaration dans laquelle ils réfutent les critiques généralement adressées au CIRC. Non sans raison, les éminents savants à l’origine de cette initiative font observer qu’aucune substance déjà classée comme « cancérogène avéré » n’a jamais été innocentée par la suite. La compétence des experts, ainsi que l’absence de conflits d’intérêts, plaident clairement en faveur du sérieux de leurs travaux. Pour une fois que l’OMS est à son avantage, méfions-nous donc plutôt de ceux qui critiquent le CIRC…
2) Le facteur n’a pas de chapeau
Ceci étant dit, les détracteurs du CIRC ne sont pas forcément des menteurs. Par exemple, quand elle accuse le Centre de « défier à la fois le sens commun et des dizaines d’études ne montrant aucune corrélation entre la viande et la cancer », l’industrie américaine de la viande ne dit pas le contraire de la vérité : à côté des études suspectant la chair animale de nous faire mal, il y en a d’autres qui allègent les soupçons et certaines qui vont jusqu’à vanter les bienfaits du régime carné. On peut souvent faire dire aux chiffres ce qu’on veut. En l’occurrence, il y a pour le moins une erreur de communication dans le chef du CIRC, celle qui est très répandue et qui consiste à confondre « causes de cancer » et « facteurs de risque ». Comme je l’écrivais dans un éditorial récent http://www.neosante.eu/editorial-revue-n47/, il n’est jamais correct de faire porter le chapeau à un facteur. Même pour l’amiante et le tabac, il est exagéré de dire que ces deux polluants génèrent la maladie cancéreuse : il y a beaucoup trop de malades qui n’y ont jamais été exposés et beaucoup trop de non-malades gravement exposés ! Pour ce qui est de la viande, il est d’autant plus abusif de parler de causalité qu’aucune étude toxicologique n’a jamais démontré expérimentalement les liens repérés épidémiologiquement. En clair, aucun chercheur n’a jamais réussi à cancériser un être vivant en lui faisant manger de la viande. Et d’ailleurs, réfléchissons un peu : si le facteur portait le chapeau, les lions, tigres et autres grands prédateurs d’antilopes seraient perclus de multiples tumeurs !
3) Un cancer, pas le cancer
Vous me direz : ces animaux carnivores n’ont pas le même système digestif que l’Homme omnivore, et vous aurez bien raison : leur intestin, notamment, n’a pas du tout la même longueur. Et bien justement, la viande rouge ne serait cancérigène que pour la partie finale du conduit intestinal humain ! Il existe également des données laissant supposer des liens avec le cancer du pancréas et le cancer de la prostate, mais à l’heure actuelle, seul le cancer colorectal a été mis en rapport avec la (sur)consommation de viande rouge et de viande transformée. De façon certaine ? Même pas : le groupe de travail du CIRC évoque des « indications limitées », ce qui signifie que cette association peut relever d’autres explications : hasard, biais méthodologiques ou facteurs confondants. On néglige trop souvent cette dernière catégorie, qui est pourtant l’ennemie jurée des études d’observation. En l’espèce, on a observé que les petits mangeurs de viande souffraient moins souvent du rectum et du colon. Mais qui se soucient le plus de son alimentation et de son colon, sinon les végétariens ? Qui mangent plus de fibres et de fruits, sinon les populations veggies ? A force de constater que les voitures deux-chevaux sont souvent conduites par des hommes barbus, on pourrait aussi en conclure que la marque Citroën fait pousser la barbe ou que la pilosité faciale engendre l’attrait pour les deuches. Or, on peut seulement déduire que les écolos baba cool aiment cette bagnole et n’aiment pas trop se raser. Méfions-nous donc des corrélations hâtivement « causalisées » !
4) Le risque est (très) relatif
La mise en garde du CIRC est toutefois soutenue par de « fortes indications » quant aux mécanismes accréditant un effet cancérigène de la viande. Pour la viande rouge, de fortes présomptions pèsent sur le rôle du fer héminique (présent dans le sang que contient la viande). Et pour les charcuteries, sur celui des nitrates et nitrites utilisés pendant leur fabrication. Le fer ? Moi, je veux bien, mais je ne sache pas que les Masaï sont particulièrement vulnérables au cancer colorectal, eux qui se nourrissent essentiellement de lait et de sang. Les nitrates ? Il se fait justement que leur action délétère est de plus en plus remise en question. Dans le Néosanté de janvier prochain, nous allons précisément publier un article réhabilitant largement ces molécules qui abondent dans le lait maternel et dans de nombreuses plantes médicinales. Quoi qu’il en soit, le CIRC relativise lui-même l’ampleur des risques. Les experts ont calculé que chaque portion de 50 grammes de viande transformée quotidiennement accroît le risque de risque de cancer colorectal de 18%. Pour la viande rouge, l’augmentation (non encore prouvée) serait de 17% pour chaque portion journalière de 100 g. Or, ces deux quantités sont supérieures aux consommations quotidiennes moyennes dans les pays industrialisés, ce qui indique bien que le problème – si problème il y a – concerne l’abus de produits carnés et non leur consommation modérée. Selon l’OMS, 34 000 décès annuels par cancer seraient imputables à une alimentation riche en viandes transformées, et 50 000 à un excès de viande rouge. Par comparaison, le tabac est censé provoquer un million de morts par an, l’alcool 600 000 et la pollution atmosphérique plus de 200 000. Tout est relatif, is’n’t it ?
5) Il y a viande et viande
Ce qui est assez incroyable dans le rapport du CIRC, c’est qu’il mélange allègrement les pommes et les poires. Il synthétise des centaines d’études mais il n’autorise aucune évaluation du danger en fonction du type de viandes consommée. La viande rouge, c’est quoi ? Pour l’agence de l’OMS, c’est de la bidoche saignante, point barre. Elle ne fait pas la différence entre animal sauvage et animal d’élevage, ni entre vache bio broutant de l’herbe et bétail exploité hors sol, dopé aux hormones et gavé d’antibiotiques. On sait pourtant bien que la qualité d’une viande tient à son mode de production, et en particulier à l’alimentation des animaux qui la fournissent. Entre autres, l’apport d’acides gras Omega 3 revêt une importance cruciale pour la santé de nos artères. Pour les viandes transformées, l’imprécision est encore plus ahurissante : sont mis dans le même sac les charcuteries les plus élaborées et toutes les viandes non fraîches, que celles-ci soient fumées, salées ou simplement séchées. Ce n’est pourtant pas du pareil au même ! Sans même parler des conditions d’élevage, comment peut-on, par exemple, mettre sur le même pied une grasse tranche de lard industriel fumée aux arômes artificiels, une saucisse bourrée d’additifs et un morceau de boeuf des Grisons séché artisanalement sans adjonction de sel ? Ou même un boudin blanc et un boudin noir, dont les compositions sont très différentes ? L’absence de toute différenciation décrédibilise complètement l’alerte du CIRC. Il y a viande et viande, nom d’une côtelette !
6)La question de la cuisson
La généralisation outrancière porte aussi – et surtout – sur la transformation calorique imposée – ou non – à la viande. Comme TOUTES les études dénigrant la viande, la synthèse du CIRC ne fait aucune différence entre viande cuite et crue ou séchée. À haute température, on sait pourtant bien que la cuisson dénature les protéines, dégrade les graisses et génère des composés hautement toxiques, comme les fameuses molécules de Maillard. Et cependant, les experts déclarent « ne pas pouvoir se prononcer sur le rôle de la cuisson ». On se moque de qui ? Si la viande était cancérigène en soi, nos ancêtres de chasseurs-cueilleurs et les dernières peuplades vivant principalement de la chasse auraient été décimés par le cancer colorectal. La manière de cuisiner les proies et leur valeur nutritionnelle ont dû compter bien davantage que la nature plus ou moins viandeuse du régime. Dans sa rubrique « Paléo nutrition », notre collaborateur Yves Patte soulignait récemment que l’homme préhistorique n’était pas, contrairement aux idées reçues, un grand amateur de barbecue. La viande grillée était l’exception et il avait déjà inventé des méthodes de cuisson douce comme le bain-marie et le pot-au-feu. S’ils veulent vraiment être pris au sérieux, les chercheurs devraient se décider à comparer ce qui peut l’être et à jauger le caractère cancérigène des viandes selon leur mode de chauffage. C’est trop demander ?
7) La vraie cause est ailleurs
Pour terminer, rappelons que rien ne permet d’affirmer un lien de causalité entre viande et cancer. Tout juste peut-on soupçonner l’ excès de charcuteries d’élever légèrement le risque de cancérisation colorectale. Une cause, c’est tout autre chose : on doit invariablement la retrouver à la source de la pathologie qu’on lui attribue. C’est précisément ce qu’a fait le Dr Ryke Geerd Hamer en forgeant, dans les années 80, sa « loi d’airain du cancer ». Il a vérifié que cette maladie était systématiquement précédée d’un choc psycho-émotionnel vécu dans le silence et l’abattement. Pour le cancer colorectal, il a identifié un cumul de deux types de conflits : pour le rectum un conflit d’identité (sentiment ne plus savoir exactement quelle est sa place) et pour le colon un conflit de « crasse » (sentiment de devoir évacuer quelque chose de dégueulasse). Dans le numéro de décembre de Néosanté, nous publions l’article d’une thérapeute suisse exposant ce double décodage. Non sans hardiesse, celle-ci ose aussi formuler l’hypothèse que la méfiance croissante envers la viande participe à la genèse du cancer colorectal : à force d’être culpabilisés pour ce qu’ils mangent, les gens ne sauraient plus trop quelle est leur place dans la chaîne alimentaire et ils nourriraient un gros conflit par rapport à la viande, désormais perçue comme un aliment malsain. Autrement dit, la viande ne serait pas cancérigène, mais bien la perception que nous en avons !
En guise de conclusion
Personnellement, je n’adhère pas à cette lecture purement psychosomatique. Dans un souci de santé globale, je m’interroge aussi sur les effets somatiques et « somatopsychiques » du mode de vie en général, et des habitudes alimentaires en particulier. Dans une perspective paléo, la consommation excessive de viande rouge trop cuite et surtout de viande transformée ne doit guère plaire à nos gènes. Et dans une perspective bio, on peut craindre qu’un excès de chair animale fragilise la partie l’intestin concernée par les ressentis émotionnels évoqués ci-dessus. Feu orange clignotant donc, assorti du conseil de varier ses sources de protéines. Gibier, volaille, oeufs, poissons, fruits de mer, champignons, insectes, plantes sauvages, algues, ce sont pas les sources « paléo » qui manquent pour remplacer avantageusement viandes porcines et bovines, lesquels ne sont pas coupables mais probablement un peu complices.
Yves Rasir
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