Avertissement préalable : je ne considère évidemment pas les djihadistes du groupe État Islamique comme des braves types. Tous les attentats qu’ils ont commis à ce jour démontrent au contraire leur manque total de bravoure et leur immense lâcheté. Mitrailler et faire exploser des civils sans défense relèvent de la plus ignoble technique de guerre. Ne soyez donc pas choqués par ce titre volontairement sidérant : si je l’ai choisi, c’est précisément pour vous sidérer, vous intriguer et vous donner ensuite l’envie de me lire. Les explications de son titre figurent dans la dernière partie du présent article.
La semaine dernière, plusieurs d’entre vous m’ont demandé de m’exprimer sur les attentats de Paris et sur le terrorisme en général. Cela m’a étonné et perturbé, car ce n’est pas un sujet que je me sens en position légitime d’aborder. Je pense beaucoup de choses de beaucoup de choses, mais il y a certaines choses qu’il m’est très difficile de penser. Je n’ai pas le bagage intellectuel d’un philosophe, d’un historien des religions ou d’un docteur en psychologie. Je ne suis pas apte non plus à parler de politique internationale, de géostratégie ou de sociologie des migrations. Bref, il m’arrive d’être modeste et de ne pas l’ouvrir sur des thèmes qui dépassent mes petites compétences journalistiques. Je ne suis pas un éditorialiste « tout terrain » capable de commenter toute l’actualité du monde. Ça ne ne veut pas dire que je n’ai aucune opinion sur les événements tragiques qui nous ont tous secoués. Et puisque certains me demandent mon avis, pourquoi ne pas le partager ?
Ce que je pense, c’est qu’il y a des guerres justes, et que celle déclarée à l’hyperterrorisme islamiste en fait incontestablement partie. Il n’est jamais injuste de se défendre et de défendre les siens en cas d’agression. Tant qu’elle est purement défensive, libératrice et dénuée de tout esprit de conquête, la guerre ne révolte pas le pacifiste que je suis. Mais je suis et reste un objecteur de conscience, c’est-à-dire que je ne considère pas l’option militaire comme la seule et la meilleure façon de vaincre un ennemi. On peut certes le vaincre dans le déchaînement des armes, mais on peut aussi triompher sans recourir à la violence. Récemment, dans un journal, un ecclésiastique déclarait que « face à Hitler, il valait mieux Churchill que Gandhi ». Mais le prélat ignore-t-il qu’en 40-45, dans un pays comme le Danemark, la population a résisté pacifiquement à l’envahisseur allemand, notamment par la grève et la désobéissance civile ? Et ne sait-il pas que c’est dans ce vaillant petit pays que la plus grande proportion de Juifs a été sauvée ? Personnellement, j’aurai toujours plus d’admiration pour Gandhi que pour Churchill. Et pour ce qui nous occupe, le « nazislamisme », je me sens beaucoup plus proche d’un Dominique de Villepin que d’un Sarkozy ou un Hollande. Contrairement à ces deux-là, l’ancien ministre français des Affaires étrangères avait parfaitement prévu ce que vaudraient aux Européens les guerres impérialistes américaines. Aujourd’hui que les faits lui donnent raison, il serait peut-être bon de relire et réécouter ce brillant diplomate opposé à l’époque à l’invasion de l’Irak…
Mais trêve de considérations politiques. Ce n’est vraiment pas mon truc. Quand j’étudiais le journalisme, je me destinais pourtant à en faire mon métier. À 16-17 ans, j’avais déjà un peu contribué à créer ce qui allait devenir le parti écologiste belge. Et à l’issue de mes études, la politique était ce qui me branchait le plus. Un après mon service civil d’objecteur de conscience, j’avais d’ailleurs atteint mon but puisque je rédigeais les articles politiques d’un quotidien belge. J’interviewais les ministres et je suivais les grands débats parlementaires. Seulement voilà : j’ai très vite eu le sentiment que « quelque chose clochait » : parmi les hommes et femmes politiques, bien peu mettaient leurs actes en adéquation avec leurs paroles. Beaucoup veulent sincèrement occuper le pouvoir pour « faire changer les choses », mais rares sont ceux qui pensent à montrer l’exemple et à se changer eux-mêmes. Il y a eu un déclic chez moi, lorsque, sur un marché, j’ai vu un élu des Verts passer devant un étal de légumes bio et aller acheter les siens plus loin, chez un maraîcher conventionnel. Ce jour-là, je me suis dit que ma vraie vocation était de promouvoir l’agriculture biologique et la santé naturelle, et non de servir la soupe aux politiciens, fussent-ils écologistes. Et que si je voulais être cohérent, je devais moi aussi, comme le suggérait Gandhi, « incarner les changements que je souhaitais voir advenir dans le monde ».
De fil en aiguille, j’ai donc commencé à m’intéresser aux thérapies nouvelles et aux méthodes de développement personnel. Et le temps passant, j’ai acquis la ferme conviction que le « travail sur soi » était la meilleure façon de changer le monde, d’aider la planète et ses habitants à se porter mieux, et de léguer une plus belle terre à nos enfants. Une phrase de Carl Gustav Jung est devenue ma devise, un mantra que je me répète constamment : « Si les choses ne vont pas dans le monde, quelque chose ne pas chez moi. Ainsi, si je suis intelligent, je dois me corriger d’abord. » Et sur le mur de mon bureau, j’ai aussi accroché la maxime de l’écrivain Jacques Rivière : « Il arrive à l’Homme non pas ce qu’il mérite, mais ce qui lui ressemble ». Vous me voyez venir ? Oui, c’est exactement ce que je cherche à transmettre comme message : quand le monde semble devenir fou, c’est le moment d’observer sa propre contribution à la folie ambiante ; et quand le Mal semble l’emporter partout, c’est l’occasion de se demander ce qui ne va pas bien chez nous. En l’occurrence, je pense que le terrorisme qui frappe l’Occident vient l’interroger sur sa propre part d’ombre, sa brutalité inavouée et ses démons intérieurs. Dans une prochaine infolettre, je me permettrai de défendre ce point de vue. Mais d’ici là, le mensuel Néosanté de décembre sera sorti et vous pourrez y lire un article sur le fanatisme religieux, écrit par Jean-Philippe Brébion avant le 13 novembre. Comme d’habitude, notre chroniqueur « bioanalogiste » nous incite à dépasser la dualité, la notion de conflit, et à « intégrer le principe » des attentats terroristes. Sa façon de marier biologie et sagesse bouddhiste me laisse toujours admiratif et conscient que sa rubrique offre vraiment un « plus » au contenu rédactionnel de la revue.
En ce qui me concerne, je préfère me limiter à épingler ce qui, dans les récents événements sanglants, a rapport à la santé et que les médias traditionnels ne traitent pas suffisamment. Primo, je voudrais une nouvelle fois attirer l’attention sur le rôle funeste des drogues pharmaceutiques. En juillet dernier, j’avais déjà écrit que l’inhumanité des combattants de Daesh ne serait pas ce qu’elle est s’ils n’opéraient pas sous l’influence du psychotrope Captagon, un médicament inventé au siècle dernier pour lutter contre l’hyperactivité et qui a la propriété d’annihiler toute émotion. Si vous voulez relire cette newsletter sur « Les faces cachées du terrorisme », cliquez ici http://www.neosante.eu/newsletter/lettre_hebdo/newsLetterHebdo20150715.html. Les monstres du 13 novembre étaient-ils aussi dans un état second ? C’est en tout cas ce qui ressort du témoignage d’un Parisien ayant assisté au carnage des terrasses : comme il l’a raconté au Figaro, il a vu arriver les terroristes et leur a trouvé un air de zombies, de mort-vivants agissant visiblement sous l’emprise d’une drogue puissante. Comme quoi, le fanatisme ne suffit pas pour se transformer en robot sanguinaire ! Secundo, je voudrais mentionner un élément qui a été également peu relevé dans la presse : selon une enquête réalisée par le CPSDI ( Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam) auprès de 1600 familles, les jeunes djihadistes radicaux sont issus de familles à 80% athées, majoritairement âgés entre 15 et 21 ans, et dont 40% d’entre eux ont connu la dépression. Ce qui a conduit les auteurs du rapport à formuler l’hypothèse que « l’hypothèse que l’endoctrinement fonctionne plus facilement sur des jeunes hypersensibles, qui se posent des questions sur le sens de leur vie ».
Il est donc important, à mon avis, de considérer la radicalisation sous cet angle sanitaire : une bon part des jeunes radicalisés sont des dépressifs, ou plutôt de dépressifs qui se soignent. Car qu’est-ce que la dépression ? Selon la nouvelle médecine psychosomatique, cette maladie est la solution parfaite du cerveau archaïque dans des situations de « peur dans le territoire ». Plutôt que d’affronter une dangereuse rivalité, l’individu préfère inconsciemment échapper à la menace en faisant profil bas et en ne manifestant aucune agressivité. Dans son livre « Le sens des maux », notre auteur Bernard Tihon résume d’ailleurs ce trouble comme « la peur d’aller au combat ». Il est assez frappant que les déprimés de Molenbeek ou d’ailleurs partent précisément en Syrie pour aller combattre, comme si le Djihad faisait office d’antidépresseur collectif ! Pour endiguer le départ des jeunes, il faudrait par conséquent être attentif à leur mal-être et y apporter les réponses adéquates. Leur radicalisme débute probablement dans le sentiment d’exclusion et dans la croyance qu’ils n’ont aucune chance de grimper sur l’échelle sociale.
Venons-en, pour conclure, à mon titre énigmatique. Le jour où je découvrais l’enquête sur les candidats djihadistes et leur tendance à la dépression, je me suis également replongé, pour en rédiger l’offre de lancement, dans le tout nouveau livre de Bernard Tihon, le deuxième tome de « Décoder le sens de la vie ». Après sa trilogie sur le sens des malaises et maladies, le collaborateur de Néosanté s’est en effet attelé à décrypter « psychobiologiquement » toute une série de facettes de l’existence humaine, de la conception à la mort en passant l’enfance, l’adolescence et toutes les étapes de la vie adulte. Et en ouvrant l’ouvrage au hasard, je suis tombé sur le chapitre intitulé « le sens de la vie, c’est être un homme brave et bon ». Comme de coutume, Bernard Tihon explore aussi le sens des mots en écoutant leur signification phonétique et en remontant à leurs racines étymologiques. Et c’est là que j’ai eu un choc : saviez-vous que les mots « barbare » et « brave» ont la même origine ? Pour les Romains, barbarie et bravoure allaient en effet tellement de pair que le mot italien « bravo » (courageux, beau, noble ») provient du latin « barbarus » (barbare, étranger, sauvage). Comme l’écrit Bernard Tihon, l’étymologie délivre donc un double sens positif et négatif de la barbarie : celle-ci est en quelque sorte un excès de bravoure, une bravoure dévoyée et détournée de sa finalité positive. Car être un brave homme, en français, ça signifie aussi être bon, honnête et généreux. De cette étrange collision sémantique, on peut alors conclure que la barbarie contient en germe une vraie bravoure, inaccomplie, mélange de courage et bonté. Au fond, les djihadistes ne sont des sales types que par ignorance de leur destin inscrit dans le Verbe. La solution ? Exécrer et punir leurs actions, mais se garder de haïr nos ennemis.
Yves Rasir
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