Depuis sa création, Néosanté vous informe sur les « ravages du dépistage » du cancer. Non seulement la détection précoce des tumeurs cancéreuses génère l’illusion statistique des rémissions en hausse, mais le phénomène de surdiagnostic engendre la multiplication de traitements inutilement toxiques et/ou mutilants. Dans nos numéros de mars 2012 http://www.neosante.eu/cancer-les-ravages-du-depistage/ et de décembre 2014 http://www.neosante.eu/cancer-du-sein-quand-le-depistage-seme-la-terreur/, notamment, nous avons publié des dossiers montrant que les examens de surveillance du sein, de la prostate ou du côlon conduisent chaque année à des millions d’opérations chirurgicales superflues. Car soit le diagnostic est erroné, soit la majorité des microtumeurs auraient régressé spontanément. Si ce scandale iatrogène est encore largement nié par les manieurs de scalpels, il y a désormais un organe dont la médecine officielle ne pourra plus dissimuler le massacre insensé : la thyroïde. Dans son édition du 18 août dernier, le New England Journal of Medecine a en effet publié une étude accablante (*) effectuée à l’Institut national du cancer italien et au Centre international de recherches sur le cancer (CIRC, Lyon).
Pour quantifier l’ampleur du surdiagnostic, l’épidémiologiste Salvatore Vaccarella et son équipe ont analysé l’évolution des cancers de la thyroïde entre 1988 et 2007 dans une douzaine de pays, dont la France et l’Italie. Dans chacun d’entre eux, l’incidence par tranche d’âge a été comparée au nombre de cas attendus si la méthode de détection en était restée à la simple palpation. À chaque fois, l’incidence observée dépasse de loin les projections, surtout chez les jeunes et les individus d’âge moyen. En France, par exemple, l’incidence des tumeurs de la thyroïde a augmenté de 577 % en trente ans ! La faute à Tchernobyl ? Le lien avec la catastrophe nucléaire de 1986 n’a jamais été démontré. Et dans les autres pays analysés (États-Unis, Australie, Corée…), pourtant épargnés par les retombées radioactives de l’accident, l’évolution du nombre de cas a suivi la même courbe ascendante. Selon les chercheurs, il n’y pas de raison de croire à de nouveaux facteurs de risque ni à une exposition plus importante aux facteurs de risques connus, en particulier les radiations. Pour Vaccarella et ses collègues, l’épidémie de cancers thyroïdiens est donc essentiellement une épidémie de surdiagnostic due aux progrès technologiques. Combinée avec l’amélioration des suivis médicaux, l’introduction des échographies, scanners et autres IRM a en effet permis une augmentation massive du repérage des petites lésions papillaires inoffensives. Au total, dans les douze pays étudiés, quelque 560.000 personnes (470.000 femmes et 90.000 hommes) auraient ainsi été dépistées et soignées inutilement. Rien qu’en France, cela concerne 46.000 femmes en une vingtaine d’années !
Car bien évidemment, le surdiagnostic est synonyme de surtraitement : ablation totale de la thyroïde, complétée chez certains par un curage ganglionnaire et des rayons. Des thérapeutiques non seulement inutiles – le pronostic vital n’est pas engagé – mais terriblement délétères ; « Outre l’expérience négative d’être diagnostiqués avec un cancer, ces patients subissent une thyroïdectomie totale qui implique un substitution hormonale à vie, souligne l’article du NEJM. Ils sont aussi exposés à des risques opératoires comme la paralysie des cordes vocales ou l’atteinte des glandes parathyroïdes ». Sans compter le coût pour la collectivité de ces nombreuses interventions et prises en charge inappropriées.
Face à ce problème de santé publique, les chercheurs proposent plusieurs pistes : éviter les pratiques de dépistage systématique, privilégier des approches de surveillance active plutôt que de traitement, et reclasser les tumeurs papillaires bénignes pour les sortir du champ du cancer. Car ce genre de microcarcinome ne devrait plus faire peur. Il en existe en abondance et à tout âge dans la glande thyroïde de sujets en bonne santé. La grande majorité de ces petits nodules ne sont à l’origine d’aucun symptôme ni de décès. Une étude menée au Japon sur plus de 1200 patients a montré qu’une très petite minorité de ces lésions (3,5%) progressait au cours d’un suivi moyen de 75 mois, et qu’aucun(e) patient(e) n’était décédé(e). Selon les auteurs de l’étude franco-italienne, les mentalités évoluent dans le bon sens et les nouveaux protocoles recommandent dorénavant de ne plus ponctionner les nodules inférieurs à un centimètre. Mais ça fait une belle jambe au demi-million de personnes qui ont été mutilées pour rien et dont la qualité de vie a été irrémédiablement gâchée.
Yves Rasir
(*) Vaccarella S. et coll. : WorlwideThyroid-Cancer Epidemic ? The increasing Impact of Overdiagnosis. N Engl J Med 2016 ; PS : Si vous avez aimé cette infolettre, faites-la suivre à vos contacts et/ou partagez-la sur les réseaux sociaux. Vous pouvez retrouver et (re)lire tous les numéros de Néosanté Hebdo ( plus de 180 à ce jour) en cliquant ici http://www.neosante.eu/neosante-hebdo-2016/. Profitez-en pour visiter notre site et faire des emplettes dans sa boutique….