Je n’ai pas encore vu le film « Hippocrate », de Thomas Lilti, qui est sorti le mois dernier sur grand écran, et je ne pense pas que je vais aller voir cette comédie amère mettant en scène un jeune médecin confronté aux dures réalités d’un hôpital public français. Non pas que ce sujet m’indiffère, au contraire, mais parce que cette fiction aurait probablement le don de m’énerver et que je dois un peu ménager ma santé. Certes, il est plutôt sympa qu’un cinéaste, lui-même diplômé en médecine et toujours praticien à ses heures, jette un regard peu flatteur sur son métier et dépeigne avec réalisme un univers trop souvent idéalisé. Ça nous change des séries américaines et du mythe hollywoodien des super-héros en blouses blanches, ou plutôt en tabliers verts. Ça nous change aussi du feuilleton Ebola et de ces incessants panégyriques médiatiques saluant les preux chevaliers à croix rouge qui s’en vont secourir les veuves et orphelins africains. Pour une fois que la profession médicale n’est pas portée aux nues, on ne va pas se plaindre. Mais il y a dans cette œuvre cinématographique un détail à mes yeux rédhibitoire : son titre ! Comment peut-on encore oser, au XXIe siècle, associer l’exercice de la médecine conventionnelle « moderne » au nom d‘Hippocrate de Cos?
A mon avis, le célèbre philosophe et médecin grec a dû se retourner dans sa tombe en voyant son nom figurer à l’affiche. Lui qui, par exemple, enjoignait à ses élèves de « d’abord ne pas nuire » pour soigner leurs semblables, que penserait-il de toutes ces médications et vaccinations aux effets secondaires désastreux ? Et que lui inspireraient toutes ces machines et techniques qui prétendent guérir un patient en l’empoisonnant, l’irradiant ou le mutilant ? Lui qui a transmis la consigne « Que ton aliment soit ton médicament », ne serait-il pas également affligé de constater que la diététique est encore méprisée par ses descendants (il suffit de voir ce qu’on sert à manger dans les hôpitaux) et stupéfait par les recommandations nutritionnelles officielles gravées sur une pyramide alimentaire complètement dépassée ? Lui qui préconisait ardemment la pratique du jeûne, comment comprendrait-il que cette thérapeutique puissante soit toujours ignorée de la plupart des médecins et établissements de soins, du moins dans nos pays francophones attardés ? Lui qui édicta que « c’est la nature qui guérit les malades » et professa que « la force qui est en chacun de nous est notre plus grand médecin », ne songerait-il pas que ses héritiers lui font injure en faisant la guerre aux symptômes, en combattant la fièvre et en agressant le système immunitaire ? Et lui dont le serment impose d’exercer l’art de guérir « dans l’innocence et la pureté », ne serait-il pas atterré par la multiplication des scandales sanitaires trouvant souvent leur explication dans les conflits d’intérêt et la dérive mercantile d’une médicine de plus en plus inféodée à l’industrie pharmaceutique ? En imaginant qu’il ressuscite et qu’un cinéma soit ouvert sur l’île de Cos, je doute fort qu’Hippocrate Le Grand reconnaisse le moindre de ses préceptes dans le film racontant le quotidien de ses prétendus disciples. De nos jours, seuls les naturopathes – et encore, les vrais, pas les obsédés du complément alimentaire ou les maniaques de la phytothérapie symptomatique - devraient avoir le droit de se revendiquer des principes hippocratiques.
L’un de ceux-ci est cependant perdu de vue par de nombreux praticiens de tous bords, à savoir l’unicité de l’être humain. Au Ve siècle avant notre ère, Hippocrate plaidait déjà pour une médecine du corps et de l’âme qui envisage le malade dans sa totalité en tenant compte de son tempérament ( les « humeurs hippocratiques »), de son histoire et de son intériorité. La maladie étant conçue comme une réaction globale de l’individu, l’intervention du thérapeute devait viser à rétablir l’harmonie rompue. Dès son époque, le père de la médecine en a donc ébauché l’indispensable envergure psychosomatique. Or que reste-t-il aujourd’hui de cette ambition holistique ? Pas grand chose. Tant sur le plan diagnostique que thérapeutique, un clivage a été introduit entre la psyché et le soma. Aux psys les maux de l’âme et aux médecins les maladies du corps, la psychiatrie se chargeant de traiter les premiers comme les secondes. Très rares sont les pathologies auxquelles est attribuée une cause immatérielle, et la tendance contemporaine est même de leur trouver une causalité extérieure, de nature environnementale ou infectieuse. Quant au stress, on lui reconnaît bien une influence pathogène et un statut de facteur aggravant, mais pas – ou alors très timidement - un rôle majeur dans l’apparition des affections. Bref, la médecine occidentale persévère dans ses deux travers tragiques que sont le dualisme et le matérialisme. Mais vous le savez : l’esprit hippocratique s’est réveillé en la personne du Dr Hamer, ce médecin allemand dont nous parlons souvent et qui a donné un grand coup de marteau dans la fourmilière avec sa découverte de l’origine psycho-émotionnelle des maladies, de leur déroulement synchrone dans le cerveau et le corps, et surtout de leur finalité biologique conforme aux lois de la nature. C’est aussi faire injure à Hippocrate que d’ignorer plus longtemps ce grand bouleversement des connaissances qu’il aurait sans doute applaudi.
Yves Rasir
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