La naissance déshumanisée

Depuis la nuit des temps, la naissance est un évènement sacré, voir initiatique dans la vie d’une femme. Jusqu’au siècle dernier, cette aventure extraordinaire qu’est l’accouchement était une histoire qui n’appartenait qu’aux femmes. L’homme n’y avait pas sa place et ne l’aurait certainement pas récusé. L’humanité est là pour nous le montrer : les femmes ont toujours su accoucher. Comme on l’a souvent entendu, « la grossesse n’est pas une maladie ». Pourquoi donc les femmes sont-elles devenues des patientes lorsqu’elles attendent un heureux évènement ?

Les accouchements physiologiques ou eutociques (accouchements qui se déroulent dans des conditions normales) représentent 80% des naissances. Les nombreuses interventions médicales, souvent injustifiées, se sont banalisées. Pourtant ces actes ne sont pas anodins car ils affectent clairement la femme qui les subit que ce soit ou non nécessaire. La peur de la douleur, les « risques » liés à l’accouchement, fruit de l’inconscient collectif et individuel, nous a conduit tout droit à accepter de mettre au monde nos bébés dans des conditions qui, la plupart de temps, sont inacceptables.

Aujourd’hui pourtant, nous sommes face à la stigmatisation de la naissance et ses conséquences encore méconnues mais prévisibles quant au devenir de générations entières nées de manière « industrielle ». En voulant contrôler l’accouchement, nous avons interféré de manière évidente avec un processus naturel.

Pour comprendre ce phénomène, revenons sur les différentes étapes qui ont amené à entrevoir la naissance, non plus comme un processus physiologique (comme la reproduction par exemple), mais comme un processus « dangereux » et classifié de pathologique pour la mère et son nouveau-né.

C’est en  1930, aux Etats-Unis, que le Dr Joseph DeLee soutient qu’il faut respecter « la dignité pathologique de la grossesse » si l’on veut que l’obstétrique soit un jour considérée comme  une spécialité médicale. Il préconise l’utilisation courante d’analgésiques, de l’épisiotomie (acte chirurgical consistant à ouvrir le périnée au moment de l’accouchement afin de « faciliter » le passage du bébé) et des forceps. Il faut donc prévenir, anticiper le déroulement de l’accouchement afin d’éviter toutes éventuelles complications. L’émergence de la surmédicalisation voit le jour. Parallèlement, le rôle des sages-femmes s’est vu fortement réduit, laissant aux médecins la « prise en charge » des accouchements. La raison principale mise en avant de cet avènement était des soins de meilleure qualité, ce qui a vu augmenter considérablement les naissances en milieu hospitalier. Les accouchements standardisés et industrialisés deviennent la norme aux USA. Chaque parturiente a droit au même protocole, oubliant la singularité de l’évènement. Le savoir obstétrique moderne a pris la relève et les femmes n’accouchement plus, elles se font « accoucher »,  devenant des patientes « passives » dans la mise au monde de leur bébé. L’idée d’un accouchement rapide et indolore séduit un grand nombre d’entre elles, qui dès lors se verra dépossédé et déresponsabilisé de leurs corps. Elles deviennent « objet » d’une médecine qui se veut toute puissante. Le comble dans cette évolution dans l’histoire de la naissance, c’est que ce sont les hommes eux-mêmes qui ont instaurés ces changements en s’appropriant l’évènement.

Au fil du temps, c’est dans notre culture, nos croyances et nos mœurs que se sont semées les graines de la peur. L’idée a bel et bien germé : la naissance est risquée et il faut à tout prix s’en prémunir. Peur de la douleur, peur des « risques » que la future mère encoure lors de sa grossesse, peur d’une déchirure, peur de mourir en couches, etc.  Toute une chaîne d’interventions abusives justifiées par la crainte du médico-légal. La femme qui va donner la vie est en insécurité et se gravera alors en elle l’incapacité à enfanter et l’incompétence en son corps à pouvoir donner la vie.

L’effet « nocebo » prend ici pleinement son sens dans le suivi de la grossesse, de l’accouchement et de ses suites. L’effet nocebo : « C’est ce qui se passe chaque fois qu’un professionnel de la santé fait plus de mal que de bien en agissant sur l’imagination, les croyances, les fantasmes, et donc l’état émotionnel. » L’effet « nocebo » des consultations prénatales, Dr Michel Odent, article paru dans la revue « Naître & Grandir
juin-juillet-août 2001 – N°11 – T 7122). Ce qui va à l’encontre du serment d’Hyppocrate, prononcé par tout médecin : « Primmum, non nocere » c’est-à-dire, « premièrement ne pas nuire ».

A titres d’exemples, voici quelques pratiques du protocole d’accouchement en structure hospitalière. Cette liste est non exhaustive, car bien trop importante pour être survolée, mais permettra déjà  de mieux comprendre la physiologie de l’accouchement :

La position lors de l’accouchement

La position adoptée lors de l’accouchement est anti-gravidique. C’est le « décubitus dorsal » qui consiste à mettre la femme sur le dos, les pieds dans les étriers. Or, cette position lithotomique imposée, affecte le débit sanguin dans l’utérus en comprimant l’aorte et la veine cave induisant un inconfort évident. Contraire aux lois de la gravité, cette position ralentit le travail, ce qui augmente les déchirures périnéales et l’intervention instrumentale d’extraction (ventouse, forceps, etc). La femme devrait pouvoir être libre de se mouvoir comme bon lui semble, en fonction de ce qu’elle ressent dans son corps afin de trouver la position la plus antalgique possible. Le corps sait ce qu’il a à faire, c’est là toute la magnificence de la nature humaine.

L’épisiotomie

Une pratique bien courante en structure hospitalière est l’épisiotomie. Renvoyée, de par sa signification même, au diminutif  souvent évoqué d’ « épisio », comme coupé de son essence, le terme et l’acte lui-même est et demeure une pratique courante, abusive et souvent nocive pour la femme qui enfante.

On entend régulièrement dans le discours de jeunes accouchées : « j’ai eu une petite épisio »… On prend soin de choisir des mots visant à diminuer, minimiser  la gravité de l’acte, voir de justifier son utilisation presqu’évidente aux yeux de la plupart d’entre nous. On n’en parle pas ou peu, persuadé que c’est un mal pour un bien. L’épisiotomie fait partie sans conteste des gestes inutiles, voir nuisibles qui entourent la naissance. La réelle nécessité et justification médicale de l’épisiotomie restent relativement rares.  On en arrive donc à des chiffres vertigineux, dépassant les 60% pour les primipares !

Pourtant on la dit indolore (il faut savoir que c’est lors d’une contraction que le périnée est coupé), utile et même nécessaire pour éviter les déchirures. C’est tout l’inverse, elle provoque des déchirures du 3ème degré, voir du 4ème degré (du vagin à l’anus), qu’elle ne prévient donc pas comme on prétend à le faire croire. Le décubitus dorsal, la péridurale (anesthésie partielle  lors de l’accouchement), les forceps (outil d’extraction du bébé ressemblant à des spatules), l’ocytocine (hormones de synthèses qui provoquent artificiellement les contractions utérines), soit toutes les conditions dans lesquelles les femmes accouchent aujourd’hui, provoquent les importantes déchirures que l’épisiotomie est censée prévenir !

Il est bon de savoir qu’une déchirure naturelle cicatrisera, dans la plupart des cas, plus rapidement et mieux, préservant les cellules des tissus, qu’une incision à divers endroits du périnée coupant dans les tissus cellulaires et laissant des cicatrices visibles et invisibles. Les mamans césarisées savent ce qu’est une cicatrise qui reste « sensible » et ce même après des années…

La lumière des salles d’accouchement

Comme tout mammifère, dont nous faisons partie, la femme qui donne naissance a besoin de se sentir sécurisée, non observée et respectée dans son intimité. Dans les salles d’accouchement, la lumière est trop intense (scialytique) et peu propice à une quelconque intimité. Il y a les va-et-vient du personnel, les changements d’équipe, la présence de stagiaire,… D’un point de vue physiologique, une femme en travail ressentira le besoin d’être dans sa bulle, «coupée du monde », afin de mettre en veille son néocortex (= cerveau de l’intellect). Son état de conscience se modifie, laissant place au lâcher prise requit lors de la mise au monde d’un bébé. Aussi petites soient-elles, les diverses stimulations autour d’elle sont néfastes au bon déroulement de la naissance.

 

Le rôle des hormones lors de l’accouchement

C’est dans un véritable bain hormonal que la femme enceinte baigne durant toute sa grossesse. Présentes de façon naturelle dans le corps, les différentes hormones  jouent un rôle essentiel lors de l’accouchement. L’ocytocine, hormone sécrétée par le corps de la femme, a pour effet de déclencher le travail. C’est l’hormone de l’amour et de l’attachement. C’est cette même hormone qui va stimuler les contractions utérines permettant la délivrance du placenta. Elle permet l’éjection du lait ainsi que la rétraction des vaisseaux sanguins évitant les hémorragies. Au moment de l’accouchement, ce pic hormonal atteint son paroxysme lors de la délivrance du placenta.

Il est protocolaire, en milieu hospitalier, d’administrer de l’ocytocine synthétique par voie intraveineuse. Son injection bloque la sécrétion naturelle d’ocytocine, ce qui augmente les contractions qui se font plus intenses et plus douloureuses. Les contractions étant plus violentes et rapprochées, la parturiente demande généralement la péridurale. Il y a donc une corrélation évidente entre l’utilisation des hormones de synthèse et la péridurale. En fait, cette molécule synthétique tente de reproduire le travail. En l’injectant, on augmente son taux dans le sang, ce qui demande une surveillance d’autant plus importante de la mère et son bébé. En effet, son usage a pour effet d’augmenter le taux de détresse fœtale, ainsi que l’hypertonie, c’est-à-dire que l’utérus n’arrive plus à se relâcher entre les contractions. Cette pratique a été justifiée pour stimuler le travail, souvent ralentit par la péridurale, et aussi en prévention des hémorragies. De plus, cette hormone de synthèse a de nombreux effets secondaires : hypotension, nausées, vomissements,… Le rôle de l’injection d’ocytocine de synthèse est largement contesté par l’OMS, qui classe cette pratique comme nocive voir inefficace (Les Soins liés à l’accouchement normal : guide pratique, OMS, 1997, cat.B,6.2,3 et4). Pourtant, cette pratique demeure hautement utilisée à titre préventif et curatif pour les hémorragies de la délivrance et les atonies utérines du post-partum. D’après le VIDAL – bible des médicaments – Les mises en garde et précautions d’emploi sont :
« … ce médicament doit être utilisé par perfusion IV et sous contrôle médical très strict. Il est indispensable de monitorer l’activité de l’utérus et l’état du foetus du début à la fin de l’accouchement, pour prévenir une souffrance foetale ou une hypertonie utérine réversibles à l’arrêt du traitement. »

La perfusion d’hormones de synthèse est sans doute, comme le souligne M. Odent, un des aspects les plus préoccupants dans l’industrialisation de la naissance.

Sachant qu’un nombre impressionnant d’interventions a eu lieu, comment ses hormones naturelles que sont l’ocytocine et la prolactine (hormone du maternage) puissent jouer leur rôle dans l’attachement mère-bébé ? C’est justement le subtil mélange de ces hormones juste après la naissance, qui va produire l’attachement et la dépendance mère-bébé, en d’autres mots l’amour.

Conclusion

Chaque intervention ou acte médical fait durant le travail d’accouchement peut clairement avoir un effet iatrogène, c’est-à-dire induire la nécessité d’autres actes médicaux qui, auraient pu être évités si le travail n’avait pas été interféré. Au départ, ces diverses interventions médicales étaient prévues pour aider les femmes et leurs bébés lors d’une grossesse à risques ou toutes éventuelles réelles complications liées à l’accouchement. Malgré les importantes mises en garde de l’OMS, ces pratiques systématiques demeurent tenaces. En Hollande par exemple, l’accouchement est considéré comme totalement naturel et pour 70% il est pratiqué par des sages-femmes. Cela n’empêche aucunement aux femmes de pouvoir bénéficier de soins et d’une vigilance particulière.

Chez nous, l’accouchement normal, respecté dans sa physiologie, est devenu l’exception.

Des solutions sont envisageables : il faudrait pallier aux les problèmes liés à l’insécurité, au manque de confiance en soi, à l’insuffisance de soutien et d’accompagnement de la femme enceinte, au manque d’informations justes, au non respect du déroulement physiologique de l’accouchement. Pour ce faire, la réintégration de l’importance du rôle de la sage-femme, devrait être une priorité. Leur savoir-faire est un précieux outil dans l’accompagnement d’une maman.

L’aménagement des salles de naissance, comme lieu intime et sécurisant, pourrait aussi être envisagé.  Certains hôpitaux ont déjà conscientisé l’impact positif sur la mise en place de ce type de salles de naissance, appelées aussi « salles natures ». Ces salles sont conçues pour respecter la physiologie de l’accouchement, tout en préservant le côté médical « au cas où ». On y trouve une lumière tamisée, une musique douce pour le début du travail, des ballons, des lianes (qui permettent la suspension pour changer de position durant le travail)…

Aussi, une formation du personnel soignant, permettrait de mieux comprendre les enjeux d’une naissance respectée. Tous les intervenants autour de la naissance ont un rôle à jouer. Le manque d’information, de soutien, d’accompagnement émotionnel, affectif et informatif fait cruellement défaut. A côté de cela, l’image de la naissance dans les médias et plus particulièrement dans les films, est erronée. Le paradoxe pour une société où les moyens de communication n’ont jamais été aussi nombreux ! La transmission d’informations justes et pertinentes est un élément essentiel pour les futurs parents. Cela devrait être la liberté de chacun : choisir en toute connaissance de cause et ce dans tous les domaines de la santé.

Une des questions centrales à se poser sur de telles pratiques routinières, comme le soulève le très célèbre obstétricien français M. Odent, est : « que deviendront les sociétés humaines après quelques générations de naissances industrialisées ? »

Bibliographie

Lecture

–        Isabelle Brabant, Une naissance heureuse, Ed. Saint-Martin

–        Claude Didierjean-Jouveau, Pour une naissance à visage humain, Ed. Jouvence, Coll. Pratiques, 2000

–        Sophie Gamelin-Lavois, Préparer son accouchement, Ed. Jouvence, 2006

–        Sophie Gamelin-Lavois, Accoucher en sécurité, Ed. Vivez Soleil, 2005

–        Michel Odent, Le fermier et l’accoucheur, Ed. Médicis, 2004

–        Michel Odent, L’Amour scientifié, Ed. Jouvence, 2001

–        Michel Odent, Césariennes : questions, effets, enjeux, Ed. Le Souffle d’Or, 2005

Sur Internet :

–        Portail Naissance : www.naissance.ws

–        Site de l’Alliance francophone pour l’accouchement respecté (AFAR) : www.afar.info

–        Classification des pratiques utilisées pendant un accouchement normal (OMS) dans le Guide pratique « Les Soins liés à l’accouchement normal »

–        Site des Doulas et accompagnantes (non médicales) à la naissance : www.doula.info et www.doula.be

–        Site périnatalité (Sophie Gamelin-Lavois) : www.perinatalité.info

A l’issue des ses études de psychologie clinique,  Catherine Delander s’est tournéec’est vers le domaine de la parentalité, et plus spécifiquement de la périnatalité,  Elle est aujourd’hui directrice d’une maison d’enfants et coach périnatal. Elle elle accompagne les  futurs parents sur le plan psycho-émotionnel  et elle soutient les femmes dans leurs difficultés liées à leur maternité (grossesse, accouchement difficile, post-partum, IVG. Elle est également réflexologue plantaire et aromathérapeute. Elle exerce en Belgique.

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