Le véritable hygiénisme

Dans une séquence de son excellent film  La Loi, la Liberté , Bernard Crutzen exprime sa crainte de voir advenir une « société hygiéniste ». Si je comprends bien ce que le réalisateur a voulu dire, puisqu’il parle dans la foulée de surveillance généralisée et de contrôle social à la chinoise, le choix du qualificatif « hygiéniste » m’a paru un peu malheureux car le substantif dont il provient prête facilement à confusion : il peut désigner deux notions distinctes, différentes, voire carrément contradictoires. Dans un premier sens, le vocable désigne en effet le courant de pensée politique qui a fait de l’hygiène  un axe de la  santé publique au début du XIXème siècle. Et dans un deuxième sens, il définit la méthode de santé naturelle prônée par les premiers naturopathes américains il y a  également environ 200 ans. L’encyclopédie Wikipédia  fait bien la distinguo entre les termes et préserve ses lecteurs de l’amalgame puisqu’elle contient deux pages différentes pour le même mot, chacune d’elles renvoyant à l’autre mais ne mélangeant pas leurs contenus. C’est assez unique sur ce site et cela indique clairement que ses rédacteurs ont été confrontés à l’impossibilité de réunir dans un même texte deux concepts tellement divergents qu’ils en sont devenus  quasiment antinomiques.
 
L’hygiénisme exactement
 
Le point commun entre les deux hygiénismes, c’est leur racine étymologique. Selon la mythologie grecque, Hygéia est fille d’Asclépios, dieu de la médecine. Mais elle n’est pas seulement la fille de son père car elle est elle-même vénérée comme une déesse, celle de la santé et de la propreté. L’hygiène est donc enfant de la médecine et elle associe en son nom  le propre et le sain. La science des mythes nous apprend d’ailleurs que le culte d’Hygéia s’est  répandu en Grèce au 5ème siècle avant notre ère, au moment où  sévissait à Athènes une grave épidémie de peste. En pleine conformité avec la sagesse hippocratique, l’hygiénisme antique considère ainsi qu’il faut assainir le corps  – on dirait aujourd’hui « renforcer le terrain » –  pour éloigner la maladie. Comment ? C’est ce que nous raconte Anne Lagière dans son ouvrage Aux sources de la Naturopathie. Dans leur panoplie d’outils, les médecins de l’époque prescrivaient notamment  un régime alimentaire apte à « prévenir les déséquilibres humoraux », le jeûne et même l’amaigrissement sévère en cas d’affection déclarée, les purgations, la respiration, l’exercice physique, le sommeil et les bains, ces derniers s’évadant bientôt des sanctuaires pour devenir un instrument thérapeutique à part entière. Cette voie de santé fondée sur l’eau et ses vertus atteindra son apogée avec les thermes romains, somptueux édifices  associant déjà la transpiration provoquée (salles de sudation) avec la cryothérapie en salle froide (ou frigidarium) et la technique de l’étuve sèche ( laconicum = sauna) avec les bains vapeur (sudatorium = hammam), sans oublier les passages en piscine de différentes températures et  les diverses méthodes d’affusion. C’est incontestablement sur cette base antique et  hippocratique  que se sont fondés Shelton et ses devanciers étasuniens pour créer la naturopathie, qui signifie  en anglais « sentier de la nature ». C’est plus tard et de manière erronée qu’on attribuera à ce mot une étymologie gréco-latine, sur le modèle de l’homéopathie. Comme le résume pertinemment Wikipédia,  l’hygiénisme ou hygiène vitale consiste à respecter les lois du vivant (homéostasie, détoxination, régénération cellulaire) et à faire en sorte que les besoins vitaux de l’organisme (oxygène, nourriture adaptée, repos suffisant, etc…) soient assurés. Ces conditions étant réunies, il n’en faut pas davantage pour rester en bonne santé  et la recouvrer si la maladie survient.  Dans son livre, Anne Lagière observe que l’hygiénisme naturopathique vante les mérites du crudivorisme alors que  dans l’antiquité, c’est la cuisson qui avait la cote diététique. Mais pour le reste, il ne fait aucun doute que c’est chez les naturopathes que la déesse Hygéia a trouvé ses plus fidèles serviteurs lointains.
 
L’hystérie hygiéno-pasteurienne
 
À l’inverse,  les hygiénistes « politiques » ne s’appuient pas sur le passé et les enseignements d’Hippocrate. Seul leur importe l’assainissement des cloaques que sont devenues les villes où s’entassent les prolétaires de la révolution industrielle. Il s’agit de raser ces quartiers miséreux ou d’y faire entrer lumière et air pur, de relier les immeubles aux égouts, d’installer l’eau courante  et de rendre les poubelles obligatoires. En matière d’alimentation, c’est seulement le fléau de l’alcoolisme qui les préoccupe. Est-ce là une  authentique « médecine du terrain » ? Au départ peut-être, mais cet hygiénisme de bon aloi va bien vite dériver vers son contraire, à savoir la théorie du germe. C’est en effet vers 1865 que ce courant architectural et urbanistique épouse les folles idées de Pasteur sur l’origine microbienne des maladies.  Dès lors que les micro-organismes peuvent être accusés d’être des agents pathogènes et contagieux, la santé va être réduite à la salubrité et l’hygiène ramenée à quelques paramètres environnementaux. Pire : les prétendus succès de la vaccination balbutiante,  puis l’invention des antibiotiques et enfin la « découverte » des virus vont complètement figer cette conception de l’hygiène et la confondre avec l’absence de saleté. Non seulement la saleté visible et respirable, celle des déchets et  des excréments,  celle de la couche de crasse sur la peau,  mais la saleté « secrète » que seuls les microscopes révèlent. C’est l’alliance du pasteurisme naissant et de cet hygiénisme « classique » qui  a accouché de la médecine allopathique contemporaine et de sa focalisation sur la microfaune bactérienne et virale.  Et c’est sous le régime hitlérien que ce délire pasteurien va atteindre son sommet, l’Allemagne nazie étant littéralement obsédée par l’objectif de purifier les êtres humains de leurs hôtes microscopiques systématiquement assimilés à des parasites. Sommes-nous sortis de cette hystérie maintenant que le microbiome a révélé son importance vitale et que « l’hypothèse  hygiéniste » a montré qu’un excès de propreté dans l’enfance  prédisposait aux pathologies futures ? Rien n’est moins sûr. Il faudra probablement que la résistance aux antibiotiques se traduise en dizaines de millions  de morts – ce que tous les spécialistes du sujet prévoient à l’horizon 2050 – pour que l’hygiénisme pasteurien  rentre dans sa boîte de Pandore. Le catastrophique vaccin anticovid et la résurgence actuelle de maladies soi-disant éradiquées par la vaccination (variole, polio, tuberculose…) contribueront sans doute aussi à refermer le mythe de l’asepsie heureuse.  Mais à l’heure qui court, c’est toujours la biophobie,  c’est-à-dire l’antithèse de la vraie hygiène, qui domine les mentalités et le paradigme médical.
 
And the winner is ?
 
Pour faire tomber cet hygiénisme dévoyé de son piédestal, je ne vois qu’une solution : rappeler avec persévérance que ses lauriers sont usurpés, ou en tout cas largement surestimés. Certes,  il est permis de penser  que les aménagements urbains du XIXème siècle ont légèrement participé à la régression des grands fléaux infectieux. Un boulevard hausmannien, c’est forcément moins malsain qu’une cour des miracles grouillante de vermine. L’évacuation des ordures en périphérie  et l’arrivée de l’eau dans les habitations  ont aussi compté dans les progrès sanitaires enregistrés à l’aube du XXème siècle, ne fût-ce qu’en raison du sentiment procuré  aux gens d’échapper à la misère.  Mais il est illusoire de croire que ces améliorations ont pesé lourd par rapport aux énormes avancées sociales obtenues à l’époque  par la classe ouvrière . Savez-vous que l’interdiction du travail des enfants n’a été votée qu’en 1874 en France ?  Ou que le jour de repos hebdomadaire n’a été instauré qu’en 1906 pour le prolétariat ?  Ces faits historiques sont rappelés par Marc Menant dans son ouvrage « L’histoire inquiétante des vaccins ». Il  souligne avec insistance que le capitalisme industriel  avait soumis les individus à un état proche de l’esclavage et que la sortie progressive de cette servitude  a étroitement coïncidé avec la  raréfaction et l’extinction  des grandes épidémies. On peut dès lors se demander si les victoires de l’hygiénisme ne sont pas plutôt des conquêtes du socialisme !  Qui dit progrès social dit également accès à une meilleure alimentation. Je sais que ce paradoxe passe largement inaperçu à l’ère de la malbouffe et des ravages des excès alimentaires, mais il me tient à cœur  de le rappeler car je le juge importantissime : on peut dresser un parallèle parfait entre la régression des maladies d’antan et l’évolution de la composition de l’assiette. Plus les classes populaires ont pu se payer des aliments nutritionnellement intéressants (fruits, légumes, viande, poisson…), plus l’incidence des pathologies infectieuses a diminué et plus l’espérance de vie a augmenté. La clé  principale de cette transformation de la santé par l’alimentation, c’est évidemment la vitamine C. Ce n’est certainement pas un hasard si le scorbut a disparu tandis que les grandes épidémies piquaient du nez.  Comme je l’ai signalé en 2015 dans ma lettre « Vaccinons les enfants avec des frites ! » , il se trouve même des médecins pour penser que la pomme de terre (riche en vitamine C pas totalement dégradée par la cuisson)  mérite tous les vivats accordés aux vaccins ! Je souligne encore une fois cette étonnante opinion car elle illustre la fracture entre le véritable hygiénisme, par nature probiotique et holistique,  et sa caricature pasteurienne obnubilée par la stérilité  (ne dit-on pas des  « bons » vaccins qu’ils doivent être « stérilisants » ?)  et donc hostile à la vie. Trop longtemps défigurée, la belle Hygéia doit retrouver sa juste place au panthéon de la médecine globale. Celle de fille et non de mère d’Esculape, car il ne faut pas non plus exagérer le pouvoir de l’hygiène. En nous indiquant un lien de filiation inverse, la sagesse antique  suggère même que la propreté et la santé sont fruits de l’art de guérir au lieu de l’engendrer. Autrement dit que la guérison se situe en amont  et non en aval  des saines habitudes et des soins apportés corps.  Ça fait réfléchir, n’est-il pas  ?
 

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Un commentaire

  1. Je lis toujours avec autant d’intérêt et de plaisir vos articles, dont une des qualités fondamentales est celle du français – oui, de votre langue française, que vous maniez vraiment en maître. Merci. Pour le « fond », je ne partage pas toujours votre point de vue (l’importance que vous donnez à la psychologie me semblant exagérée), mais peut-être à force de vous lire changerai-je d’opinion…

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