Cet été, j’ai appris un nouveau mot de vocabulaire. Et chose un peu vexante, c’est un de mes enfants qui me l’a fait connaître. Si j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un néologisme issu du langage jeune, j’ai dû me rendre à l’évidence et admettre mon ignorance. Pour ma défense, ce vocable inconnu de moi ne figure pas dans le grand dictionnaire Larousse ni dans le Littré en 5 volumes que j’ai à mon bureau. Mais très étonnamment, il est repris dans les dictionnaires numériques en accès libre sur Internet. Il est également présent dans un logiciel que j’utilise régulièrement pour vérifier des définitions ou secourir mon imagination lorsqu’elle est en panne de synonymes. Ce terme que je n’avais jamais entendu, c’est l’adjectif « nareux ». Il n’est pas répandu dans toute la francophonie mais on l’emploie couramment et depuis longtemps, paraît-il, au Canada, dans certaines régions de France (Picardie, Alsace, Lorraine…) et en…Belgique. Sa signification ? Voici celle que donne le Wiktionnaire : Qui ressent un dégoût compulsif à l’idée d’une saleté ou d’un manque d’hygiène de ce qui entre en contact avec la nourriture, vaisselle, ustensiles et cuisiniers. D’après le Dictionnaire des Régionalismes de France, l’adjectif nareux (ou sa variante néreux) qualifie une personne « difficile sur la nourriture et tout ce qui touche la propreté de la table; qui éprouve facilement du dégoût ». C’est donc, en résumé, une épithète qui désigne quelqu’un de particulièrement délicat et sensible des narines, au point d’être excessivement attentif à l’asepsie des aliments et des instruments (couverts, assiettes, récipients …) permettant de les consommer. Chez les ados, c’est ainsi qu’on moque la fille ou le garçon qui répugne à se servir d’une fourchette non identifiée ou à boire dans un autre verre que le sien. C’est d’ailleurs ce contexte qui m’a permis d’enrichir mon vocabulaire : alors que nous étions en randonnée et que j’hésitais à m’abreuver à sa gourde généreusement tendue, ma fille aînée a ri de moi et m’a lancé qu’elle n’était pas « nareuse » comme sa sœur.
À mon grand désappointement, la deuxième de mes trois filles relève en effet de cette catégorie de gens qui supportent difficilement de « partager les microbes ». Dès qu’elle soupçonne autrui de se servir de « son » verre ou de « son » couvert, elle peut piquer une passagère colère. Vu que moi, à l’inverse, je trempe volontiers mes lèvres dans un verre déjà utilisé ou, pire, qu’il m’arrive de boire au goulot des bouteilles, ça fait parfois des étincelles ! J’ai beau argumenter contre cette hantise pasteurienne, lui chanter les louanges de l’hormèse microbienne et lui faire remarquer qu’un seul baiser de son amoureux lui fait avaler des millions de bactéries exogènes, rien n’y fait : elle est toujours furieuse quand elle constate qu’un ustensile qu’elle croyait pur a été humecté par une salive étrangère. Implantée par Pasteur et ses successeurs, la peur des germes et la phobie des sécrétions corporelles affectent jusqu’à ma progéniture ! Dommage que ma fille nareuse n’était pas là lorsque j’ai zappé, par hasard, sur un documentaire ethnologique. Je ne sais plus dans quel coin d’Afrique c’était filmé, mais on voyait des femmes effectuer quotidiennement 15 kilomètres à pied dans le désert pour aller chercher de l’eau. Non seulement leurs récipients – de vieux bidons cradingues – n’inspiraient pas confiance, mais l’oasis en question était une mare boueuse dans laquelle pataugeaient et s’abreuvaient aussi les troupeaux de chèvres ! Interrogées par le cinéaste, ces femmes au port altier et jouissant visiblement d’une très bonne santé ne voyaient pas du tout où était le problème : elles puisaient à distance des animaux et l’eau bue sur place ou ramenée à leur foyer n’avait jamais rendu quelqu’un malade. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de noter les références de ce reportage et je m’en veux un peu car il mériterait de figurer au cursus des études de médecine pour montrer que les critères sanitaires occidentaux ne sont pas nécessairement pertinents et qu’une eau trouble n’engendre pas forcément des troubles. Ça m’a rappelé ce que le Dr Jean-Claude Fajeau raconte dans son petit ouvrage de décodage des maladies infectieuses et parasitaires : lorsqu’il était en mission humanitaire en Afrique et qu’il imitait sans crainte les indigènes buvant l’eau du fleuve, il n’ « attrapait » rien et ses intestins s’en portaient tout aussi bien. Comme quoi, les micro-organismes réputés pathogènes peuvent laisser de marbre un microbiote robuste relié à un premier cerveau assez costaud pour défier les dogmes…
Mais qu’est-ce qu’une flore intestinale florissante ? N’en déplaise aux toubibs sans frontières (mais non sans préjugés), la science a désormais une réponse claire et nette : c’est celle des peuplades primitives, des tribus de chasseurs-cueilleurs vivant comme à la préhistoire. En étudiant leurs excréments, des chercheurs ont en effet découvert que ces « sauvages » avaient un microbiote plus riche et diversifié que les populations des pays industrialisés. Bien que dépourvus de probiotiques jugés importants en Occident, les intestins de ces populations sorties du paléolithique se distinguent par une grande variété de souches, dont certaines totalement inconnues sous nos latitudes. Or ces êtres vivant de chasse et de cueillette sont aussi remarquablement résistants aux maladies métaboliques et auto-immunes qui ravagent le monde moderne. C’est le cas notamment des Hadzas, un peuple de nomades tanzaniens, dont le microbiote intrigue particulièrement les scientifiques parce qu’il contient beaucoup de Tréponema, une famille de bactéries plutôt associées à des pathologies graves mais qui ne semblent nullement déranger leurs hôtes africains. Pour info, l’étrangeté microbiotique des Hadzas est aussi abordée dans le documentaire « Microbiote, les fabuleux pouvoirs du ventre » que vient de diffuser la chaîne Arte. Dans ce film, les réalisateurs expliquent très bien le rôle central des intestins, l’importance d’une alimentation riche en fibres végétales et l’avenir prometteur des thérapies par greffe fécale. Ils soulignent également la nocivité de certains additifs industriels, l’inconvénient majeur des césariennes et l’effet désastreux des cures d’antibiotiques. Petit bémol : le docu ne fait aucune mention de l’action positive du sport et du jeûne alors que Thierry de Lestrade est aussi l’auteur d’un excellent documentaire sur ce deuxième sujet. Je recommande cependant cette œuvre télévisée à tous les nareux et à toutes les nareuses : au lieu de flipper devant une saleté toute relative, ces biophobes impénitents devraient davantage se préoccuper de leur jardin bactérien intérieur et lui procurer une biodiversité supérieure. La richesse et l’équilibre de la flore intestinale sont des clés de santé bien plus essentielles que l’efficacité d’un lave-vaisselle….
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Un commentaire
Très bel exposé d’une vérité traversant les siècles. Le sujet me rappelle l’histoire d’une épidémie de choléra en Inde : Dans l’hôpital américain où l’hygiène était parfaite, il y avait davantage de décès que dans l’hôpital anglais moins parfait. C’est dans l’hôpital local qu’il y avait le moins de décès, car le moins d’hygiène. Sans doute, des bactéries traînaient sur les poignées de porte et provoquaient des vaccins spontanés! Ou encore des microbes commensaux stimulaient les réactions immunitaires!